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RDC/ KAYNA/ CULTURE : L’argile : asile pour une potière obligée de fuir la violence

Par Global Press Journal Democratic Republic of Congo

Sommaire: Depuis le début de l’année 2022, c’est plus de 1 100 personnes qui se sont fait enregistrer comme déplacées à Kayna. Plusieurs sont arrivées les mains vides, mais le sol argilo-sableux de la région leur offre l’opportunité de se construire une nouvelle vie.

À Kayna, dans le territoire de Lubero, Foibe Kahindo Mbeke pétrit de l’argile pour fabriquer un pichet.

Cette histoire a été initialement publiée par Global Press Journal.

Foibe Kahindo Mbeke est assise sur une pl anche que soutiennent deux grandes pierres à l’extérieur d’une construction encombrée faite de bois, laquelle s’appuie sur de nombreux supports pour rester debout. Entourée de cadres de fenêtres abandonnés, de morceaux de bois et de gravats étalés sur une vaste étendue de terre envahie par la végétation, elle fixe son attention sur son plus récent chef d’oeuvre d’argile : un énorme pot pour la conservation de l’eau, récipient qu’elle espère vendre.

Chaque jour, cette mère de quatre enfants parcourt la brève distance séparant son domicile, situé dans la commune de Kayna, de son atelier de fortune où elle façonne à des fins lucratives divers articles ménagers d’usage courant. Il s’agit d’un nouveau mode de vie pour Mbeke qui, à son arrivée à Kayna en avril 2022, ne possédait rien d’autre que quelques effets personnels ainsi que la détermination de retourner à la demeure que lui ont léguée sa tante et son oncle. Cette maison, où elle a passé une bonne partie de son enfance, était un havre de paix, loin de la violence de sa précédente résidence à Idou, un village de la province orientale de l’Ituri. Obligée de fuir Idou, c’est en camion qu’elle parcourut les 389 kilomètres (242 miles) jusqu’à Kayna, dans le territoire de Lubero.

Ne disposant de rien d’autre que d’un toit pour s’abriter, elle demanda à son voisin si elle pouvait lui emprunter ses ustensiles de cuisine. Ce dernier lui montra plutôt comment s’en fabriquer personnellement quelques-uns à base d’argile, une aptitude cruciale qui l’a remise sur pied de plus d’une manière.

« Deux jours ont suffi pour cet apprentissage, » dit Mbeke. « Depuis ce jour-là, j’ai commencé à faire ce travail. J’en ai fait ma profession et j’en vends les produits. J’aime ce travail, car son capital n’est pas pécuniaire, il suffit du courage, car l’argile est gratuite. » Chaque jour, Mbeke ramasse de l’argile d’une vallée adjacente ; le sol y est argilosableux.

Mbeke est l’une des plus de 1 100 âmes à s’être enregistrées en tant que personnes déplacées à Kayna depuis le début de l’année 2022. Ce chiffre est très loin du nombre total de déplacé(e)s internes ayant fui les zones insécurisées des régions orientales du pays. L’aide humanitaire faisant cruellement défaut, de nombreuses personnes dépl acées résidant actuellement dans le territoire de Lubero luttent pour joindre les deux bouts. Mbeke, quant à elle, peut s’assumer grâce à la poterie, une technique qu’encouragent à l’heure actuelle les artisans locaux.

Dominique Hyde, responsable des relations extérieures au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), fait état d’un pic de violence dans la province de l’Ituri depuis avril 2022. Environ 120 groupes armés ont obligé plus de 160 000 personnes, y compris Mbeke, à fuir cette province riche en minéraux. À travers les pays de l’Afrique centrale, l’on dénombre au moins 5,6 millions de personnes déplacées, soit le chiffre le plus grand de n’importe quel pays africain, a déclaré Hyde au cours d’une interview publiée en août dernier sur U.N. News à la suite d’une mission dans cette région.

Clovis Katembo Kanyaghuru, bourgmestre de Kayna, affirme que le gouvernement a offert une assistance aux populations déplacées, une aide considérable provenant d’organisations nationales et internationales telles que le HCR. Mais comme l’a souligné Hyde, seule une infime partie des 225 millions de dollars nécessaires pour faire face à la crise a été recueillie depuis l’entame de 2022.

Dans le territoire de Lubero où l’aide n’est disponible qu’en quantité limitée, la poterie traditionnelle est devenue une source vitale de revenus pour les populations qui arrivent dans la région.

« Si quelqu’un se concentre bien, il peut en tout cas vivre seulement de ce travail, » dit Pascal Kasereka Vinahera, voisin de Mbeke, qui pratique depuis 20 ans le métier de potier et dont les ventes assurent la subsistance de ses quatre enfants en plus de sa femme.

Jean Nguba Mulinda, chargé du service de la Culture et des Arts à Kayna, affirme que la poterie est une spécialité très appréciée dans la commune, mais des quelque 55 000 habitants de la localité, seulement 6 % exercent cet art traditionnel. Il souhaite inverser cette tendance.

« Je salue cette pratique qui pérennise ce travail des aïeux. Pour encourager les pratiquants, je les exempte de la taxe annuelle qui s’élève normalement à 1 0 $, » confie Mulinda, faisant allusion à l’impôt sur le revenu, lequel varie en fonction des professions.

Mbeke sculpte des cruches, des pichets, des pipes à tabac et des abreuvoirs qu’elle vend entre 500 et 20 000 francs congolais (25 cents et 10 S). Sa clientèle, dit-elle, se compose généralement de collectionneurs, de prêtres, d’agriculteurs et de directeurs d’écoles. Cependant, cette femme déplacée en raison de la guerre berce l’espoir que soit restaurée la paix afin qu’elle retourne à la vie qu’elle menait à Idou.

« J’ai passé deux ans à Idou, où je vendais des habits et des souliers, » déclare Mbeke. « La vie était bonne. Mais j’ai été obligée de quitter cette région suite aux multiples tueries de la population civile. J’ai tout abandonné pour ne sauver que ma vie. »

Les personnes qui arrivent à Kayna viennent des zones occupées par le M23. Formé en 2012 et en grande partie composé de Tutsis congolais, le groupe armé a récemment refait surface, gagnant du terrain à l’est de la RDC.

« Ces personnes sont véritablement démunies, » dit Kanyaghuru à propos des foules qui affluent vers sa commune. « Nous exhortons les populations locales à faciliter leur insertion dans la communauté et à leur apporter de l’aide sous forme de denrées alimentaires. » Selon Alphonse Kahembe, vice-président du comité des déplacés internes à Kayna et chargé de l’enregistrement des personnes déplacées qui arrivent dans la commune, ces dernières sont également mises en contact avec des familles d’accueil et se voient offrir des opportunités d’emploi.

Kanyaghuru révèle qu’à la fin de l’année 2022, ils ont reçu du Comité international de la Croix-Rouge une assistance financière en faveur des personnes déplacées et des familles d’accueil.

Quant à Mbeke, qui dit n’avoir bénéficié d’aucune aide depuis son arrivée à Kayna, son existence solitaire est aux antipodes de la vie qu’elle menait autrefois aux côtés de son mari et de ses quatre enfants dans la cité de Kasindi au nord-est du pays, avant que la violence ne les sépare et qu’elle ne s’en aille vers Idou. Elle n’a plus revu son époux depuis lors. Ses enfants aujourd’hui adultes ont fondé leurs propres familles. Elle a des petits-enfants, mais parler de sa famille n’est pas son sujet de conversation préféré.

Mbeke a pour le moment trouvé une paisible enclave. Cependant, elle vit dans l’incertitude, toujours sur le qui-vive, prête pour sa propre sécurité à abandonner cette autre vie qu’elle s’est construite.

La rédaction


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