Une Tribune de John Zyombo, Expert en Finances Publiques et chercheur en Gouvernance Financière
La fermeture des banques commerciales dans l’Est de la République Démocratique du Congo en particulier (Nord-Kivu et Sud-Kivu) va au-delà d’un simple incident financier, d’une mesure conjoncturelle : Elle constitue une fracture institutionnelle, au mieux une rupture fonctionnelle et symbolique du contrat social entre l’État et sa population.
Dans un pays où l’état peine à matérialiser sa présence dans certaines régions, les institutions bancaires jouent un rôle de relais entre le pouvoir central et les citoyens (paiement des salaires, perception des recettes, gestion des transactions publiques et privées…). La fermeture des banques signifie l’effondrement de ce lien. Dans un contexte où la confiance institutionnelle est déjà fragile, la perte d’accès aux services bancaires devient un marqueur puissant d’abandon, d’isolement et de vulnérabilité.
Cette situation engendre entre autres :
1. Une crise de confiance envers l’Etat
Dans l’imaginaire collectif des citoyens congolais vivants à l’Est, cette situation renforce le sentiment d’abandon par Kinshasa. Alors que la partie Est a connu des crises sécuritaires depuis des décennies, *la suspension des services bancaires est venu cristallisée un ressentiment profond.Le pouvoir de Kinshasa est perçu comme lointain, indifférent, voir hostile envers la population.
2. Rupture du lien institutionnel : quand l’État disparaît du quotidien
Les banques ne sont pas seulement des lieux de retrait d’argent : Elles représentent une présence matérielle de l’État, un relais de la Banque Centrale, un pilier de l’économie formelle.
En quittant les territoires de l’Est, le système bancaire renvoie un signal clair : « L’État ne peut plus garantir la sécurité, ni assurer sa mission fondamentale : protéger et servir».
Cette absence crée un vide qui renforce la perception d’abandon et déplace les citoyens vers des acteurs parallèles. Le danger majeur est la normalisation de cette absence de l’État dans :
* les paiements
* les salaires
* les transferts de fonds
* l’accès au crédit
* la circulation monétaire
* la justice économique
Une fois ancré, ce système informel peut devenir très difficile à renverser, même après le retour de la paix.
3. Effondrement du pouvoir d’achat et perte de dignité économique
Privés d’accès à leurs propres ressources (salaires, pensions, fonds d’épargne), les citoyens sont poussés dans une situation d’injustice économique :
– salaires inaccessibles
– explosion des prix due à la rareté du cash
– domination du change informel
– dépendance aux prêteurs usuraires
Cette situation humilie les ménages, détruit leur autonomie financière et génère une colère silencieuse.
L’État, en disparaissant financièrement, fragilise la dignité économique des citoyens.
4. Montée en puissance des circuits informels : un État parallèle
L’absence de banques permet à des réseaux parallèles d’occuper l’espace avec comme résultat :
– Le taux de change local échappe totalement à la Banque Centrale
- La politique monétaire perd son effet
- L’économie locale bascule dans une logique de survie
L’État perd simultanément contrôle économique, fiscal et symbolique.
La fermeture des banques transforme un choc de sécurité en choc monétaire local. La demande nominale existe mais la capacité d’échange en monnaie nationale s’effondre, provoquant dysfonctionnements de marchés.
Elle n’est plus perçue comme une simple mesure conjoncturelle mais révélateur d’un désengagement de l’Etat dans des zones en détresse. C’est l’une des ruptures les plus graves entre l’État et ses citoyens depuis l’indépendance du pays.
Si cette fracture n’est pas résorbée rapidement, elle laissera des conséquences durables sur la cohésion nationale, la légitimité de l’État et la stabilité économique du pays.
La rédaction
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